Interview: Elvire Cassan : « Les assos dys se livrent une guerre perpétuelle, c’est insupportable »
Journaliste, et mère d’une petite fille multi-dys de 10 ans, Elvire Cassan a publié son livre « L’Odyssée des Dys : Enquête et témoignages sur ces troubles qui bouleversent des vies » fin 2024 aux Editions Stock. L’ouvrage, qui sortira en édition poche courant 2026, aborde le récit personnel de son autrice, mais également le regard que porte la société sur les personnes dys.
Elvire Cassan
Qu’est-ce qui vous a poussé à mener une enquête sur les troubles dys ?
Ma fille est multi-dys. Avant d’écrire ce livre, j’ai commencé par réaliser un documentaire audio (« Une vie de dys », en quatre épisodes), parce que quand j’ai eu connaissance du diagnostic de ma fille, j’ai eu besoin de comprendre et de le dépasser. C’est là que je me suis rendue compte que la situation n’avait pas assez évoluée.
À quel moment avez-vous réalisé l’ampleur de ce qu’il reste à faire dans ce domaine ?
J’ai commencé à le réaliser avec ma fille, avec le regard de l’école sur elle. Puis en écoutant des archives de l’INA, je me suis dit que ce que j’entendais, je l’entendais aussi aujourd’hui avec ma fille. En 50 ans, peu de choses ont changé…
Avez-vous fait des découvertes auxquelles vous ne vous attendiez pas au cours de votre enquête ?
Avant de m’intéresser à ce sujet, je n’avais jamais entendu le mot « dyspraxie ». Je connaissais « dyslexie », mais sans savoir ce que cela recouvrait. J’ai découvert un monde qui m’était totalement étranger !
Est-ce que, dans le cadre de votre livre, une rencontre vous a particulièrement marquée ?
Dans le cadre de mon documentaire audio, j’ai rencontré Pierre Lemaître (écrivain, lauréat du prix Goncourt en 2013, et dyspraxique), avec qui je suis toujours en lien. Sa manière d’appréhender le monde m’a beaucoup marquée. J’ai aussi rencontré Thomas Legrand (journaliste politique et dyslexique), qui témoigne également dans le livre.
Vous êtes-vous heurtée à des obstacles pendant l’écriture du livre ?
Je n’ai pas eu de difficultés à obtenir des informations, notamment grâce au chercheur en sciences cognitives Franck Ramu. L’obstacle principal est la guerre que se mènent les différentes associations dys, c’est très pénible et ça ne fait pas avancer les choses. On me dit « je ne vais pas trop parler de ton livre parce que tu as cité telle asso dedans », c’est une guerre perpétuelle, c’est insupportable. Elles sont sur le même terrain et chacune veut briller plus que l’autre. J’ai en effet listé les différentes associations existantes dans un chapitre, car elles sont très utiles pour obtenir de l’aide et du soutien. On devrait se concentrer sur le fait d’aider les enfants à grandir sans sentiment de honte et de culpabilité. On est là pour aider les enfants, et les adultes.
Quelles sont les répercussions des troubles dys à l’âge adulte ?
J’ai consacré un chapitre au monde du travail, on a l’impression qu’à l’âge adulte les troubles dys disparaissent, alors que non. Il manque un adressage pour les adultes, notamment dans le cadre du travail.
Chez les adultes, il y a généralement deux profils, même si cela tend à changer avec les nouvelles générations. Il y a ceux qui assument complètement et disent sans problème qu’ils sont dyslexiques ou autre, et ceux qui ne vont pas le dire du tout ou sur un bout de table. Au niveau des répercussions on note notamment une difficulté à effectuer une double tâche, ou encore à écrire sans fautes. Les outils numériques sont les meilleurs alliés des dyslexiques et dysorthographiques !
Pensez-vous que votre livre peut faire changer les choses pour les personnes dys ? Et de quelle façon ?
Je reçois beaucoup de messages de parents qui me disent s’être sentis moins seuls à la lecture du livre. On vit la même chose, les mêmes galères, les mêmes points de blocage aux mêmes endroits, avec les mêmes entités. Ensemble, on se sent moins seuls.
J’aimerais que cela aide à changer le regard de la société, que les personnes dys puissent assumer qui elles sont. Elles ne sont pas moins valables, même si elles voient le monde différemment. C’est à nous de changer notre regard.