Montessori, vraiment pour tous les enfants ?

Avec son matériel riche, son éducation bienveillante, et la grande liberté laissée à l’enfant, la pédagogie Montessori semble idéale pour les enfants en situation de handicap. Pourtant, de nombreux parents peinent à obtenir une place en établissement Montessori, ou bien déplorent un manque d’adaptation à leur enfant. Cette méthode est-elle si inclusive que ça ?

Un espace de jeu Montessori

Une méthode qui semble idéale…

Lorsque, en 1907, Maria Montessori pose les fondamentaux de la pédagogie qui porte son nom, elle a dans l’idée d’aider avant tout les enfants dits « déficients », touchés par des troubles du développement intellectuel. Elle considère qu’il est primordial pour eux de bénéficier d’une éducation, en plus de soins médicaux.

Par sa pédagogie, Maria Montessori favorise l’autonomie des enfants, leur liberté de choix, et le respect de leurs rythmes. « La base de la pédagogie Montessori est de s’adapter à chaque enfant. » explique Nadia Hamidi, directrice de l’école Montessori Internationale de Nice, et présidente de l’association Montessori de France. « Elle considérait que chaque enfant est capable d’apprendre, et que tout être humain a du potentiel. »

Bruno Egron est inspecteur de l'Éducation Nationale Adaptation scolaire et Scolarisation des élèves Handicapés (IEN-ASH) honoraire, et auteur de plusieurs ouvrages, comme « Troubles et apprentissages - Des pistes pédagogiques pour une école inclusive » (Retz, 2023). « Le principe des méthodes de Maria Montessori est basé sur le constructivisme, c’est-à-dire que l’enfant va progresser par apprentissages successifs, dus à l’adaptation qu’il peut avoir à son milieu » expose-t-il. « Il y a très peu d’interventions des adultes, l’enfant apprend seul. On lui propose un environnement riche, avec des outils pédagogiques, et on le laisse faire. »

…mais ne s’adresse pas à tous

Cette méthode, sans compétition entre pairs mais basée sur la coopération, permet au groupe d’apporter des solutions à un enfant qui se retrouverait en échec. Cependant, selon Bruno Egron, elle manque de dimension sociale pour les enfants atteints de troubles du développement intellectuel, d’autisme ou de troubles du comportement. « La méthode Montessori n’est pas la plus adaptée aux enfants qui ont peu de lien avec la réalité qui les entoure. »

La majorité des théories de l’apprentissage actuelles sont basées sur le socio-constructivisme, dans lequel le rôle de l’adulte est d’accompagner l’enfant dans les apprentissages en l’aidant. « C’est la zone proximale de développement, et Montessori ignore cet élément. » Avec la pédagogie Montessori, les enfants sont donc laissés en grande autonomie, ce qui ne convient pas à tous. De fait, de nombreuses familles font mention d’un refus d’accueil de leur enfant en situation de handicap, en établissement Montessori. Comment cela peut-il s’expliquer ?

Les raisons des refus

Bernadette Pilloy, présidente du Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes (CFHE), a déjà entendu ces échos de la part de parents. « Les gens, y compris en école Montessori, confondent tous les handicaps, et disent que leur école n’est pas adaptée, alors qu’il ne s’agit pas forcément d’accueillir un enfant en fauteuil. » Elle n’y voit pas forcément une mauvaise volonté de la part de ces écoles, mais plutôt une méconnaissance totale des handicaps. « La méthode Montessori semble justement adaptée pour beaucoup d’enfants en situation de handicap, car elle respecte le rythme de chacun. »

Pour Bruno Egron, il existe une autre raison à ces refus, qui ne serait pas propre aux écoles Montessori. « Ce sont des écoles privées, sollicitées par des familles socialement favorisées. Ces familles n’ont pas envie qu’il y ait dans la classe des enfants qui risquent de perturber ou ralentir les apprentissages de leur enfant. Les écoles vont donc accueillir quelques enfants avec un handicap plutôt sensoriel, intellectuel léger, ou des troubles DYS, plutôt qu’avec des troubles du comportement ou psychiques. »

Les taux de scolarisation des enfants handicapés en écoles privées ne semblent pas avoir été documentés depuis plus de 10 ans. Mais Bruno Egron se souvient des statistiques précédentes, selon lesquelles ces écoles accueillaient moitié moins d’enfants en situation de handicap que les écoles publiques. « Il y a des refus, des exclusions. Bien sûr, il est interdit de discriminer quelqu’un au titre d’un handicap. Les parents ou associations de parents portent parfois plainte mais c’est assez rare. » Ils ont, en effet, déjà bien d’autres combats à mener au quotidien.

La question épineuse des quotas

En entendant parler de cas de refus, Charlotte Poussin, ancienne directrice d’école Montessori et autrice de plusieurs livres dont « La Pédagogie Montessori » (Que sais-je, 2024), « ne tombe pas des nues ». « Je pense que cela doit arriver car les écoles Montessori attirent énormément d’enfants en situation de handicap. Mais pour que cela fonctionne, il faut un équilibre entre enfants neurotypiques et enfants à besoins spécifiques. Il y a aussi de très belles histoires avec des enfants très bien accueillis, qui ne se sentent pas différents. »

C’est également l’avis de Nadia Hamidi, présidente de l’association Montessori de France, qui est elle-même mère d’un fils atteint de troubles neurodéveloppementaux. « On pense souvent que les écoles Montessori sont faites pour les enfants à besoins spécifiques. Mais Maria Montessori a très vite été amenée à travailler avec des enfants neurotypiques. Le matériel Montessori est pensé pour les enfants sans troubles des apprentissages et du développement. »

Nadia Hamidi reconnaît qu’en formation Montessori, peu d’outils sont donnés aux enseignants pour pouvoir accompagner des enfants en situation de handicap. Mais la réflexion est ouverte, et elle dirige aujourd’hui, par choix pédagogique, une école inclusive, avec du matériel adapté, et un pôle psychopédagogique.

Cependant, ce n’est pas le cas de la plupart des établissements Montessori. « On essaie d’êtreinclusifs, mais on ne peut pas avoir 10 enfants avec un trouble du spectre autistique par classe, alors que ce sont de petites structures avec plusieurs niveaux d’âge. On accepte 3 à 5 enfants en situation de handicap par classe, en fonction du trouble. On se distingue d’une classe spécialisée ou d’un système ULIS, car il ne peut pas y avoir d’émulation s’ils sont tous ensemble. La vraie inclusion, c’est un enfant pour dix. »

Pour respecter ce quota, les directeurs d’établissement doivent refuser de nombreuses demandes. « J’ai le cas tous les jours, ça me brise le cœur de dire non » confie Nadia Hamidi. Mais d’autres raisons, encore, peuvent être avancées. Comme celle de la difficulté à obtenir le financement d’un.e Auxiliaire de Vie Scolaire ou d’un. Accompagnant.e des élèves en situation de handicap par la MDPH.

« La MDPH considère que si les parents ont les moyens de mettre leur enfant dans une structure privée hors contrat, ils peuvent financer une aide eux-mêmes. »

Charlotte Poussin et Nadia Hamidi tiennent également à rappeler que Montessori n’est pas un nom protégé. « Certaines écoles font un business dessus sans appliquer correctement la méthode. Il est important de vérifier si elles sont adhérentes à l’association Montessori de France, ou signataires de la charte. » souffle la présidente de l’association.

Quelques solutions alternatives

Alors, que conseiller aux parents qui se font claquer la porte au nez ? Bernadette Pilloy leur recommande de se tourner vers le système public, ou vers des écoles privées ayant un contrat avec l’État. « Au contraire du privé hors contrat, un certain nombre de recours et de médiations sont possibles pour les parents. Ils ne peuvent pas choisir leurs élèves et doivent accepter tout le monde. »

Pour Bruno Egron, les écoles ne peuvent pas refuser un enfant au seul titre de son handicap. « C’est à l’établissement de prouver qu’elle ne peut pas accueillir l’enfant. Les enfants scolarisés dans le privé ont les mêmes droits que dans le public. » Si ce premier recours ne suffit pas, il est possible de porter plainte devant le Défenseur des droits des enfants, et éventuellement aux tribunaux. « Ils condamnent assez fortement, mais c’est long, et pendant ce temps là l’enfant n’est pas scolarisé, cela se fait à son détriment. »

Comme Bernadette Pilloy, il conseille alors de se tourner vers le public, ou bien l’enseignement privé catholique, « qui fait des efforts sur ce sujet, et milite pour l’accueil de tous les enfants. Mais les chefs d’établissement restent décisionnaires et sont soumis à la pression des autres parents. Ce sont les limites de l’enseignement privé. »

Charlotte Poussin, elle, recommande aux parents de persévérer, ou de se tourner vers des classes spécialisées. « Quand le quota est atteint dans une école, il ne faut pas hésiter à aller en voir une autre. Mais il ne faut jamais minimiser le handicap de l’enfant, sinon la relation de confiance est abîmée dès le départ. »

Quant à elle, Nadia Hamidi suggère aux parents de se rapprocher de l’association, qui peut les aider à trouver une école. Elle trouve le système des quotas plutôt honnête. « Au moins, les écoles ne disent pas oui pour prendre les sous des parents, et ne pas bien s’occuper de l’enfant derrière. »

La pédagogie Montessori n’est donc pas l’eldorado rêvé par certains parents. Le système éducatif parfaitement inclusif reste encore à construire.

Anne-Florence Salvetti-Lionne

Autrice et journaliste, Anne-Florence est spécialiste des sujets parentalité, féminisme, bien-être et tourisme.

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